L’annonce qui a fait le plus de bruit aujourd’hui dans le monde des
logiciels libres, c’est la mise sous licence LGPL du framework Qt.
Ils en parlent un peu partout sur les
blogs et les sites d’info technologique (pfiou,
c’est dur de faire tout plein de liens — vous remarquerez que je laisse
l’annonce officielle pour la fin — vous remarquerez aussi que j’avais
dans ma phrase un mot de trop par rapport au nombre de liens que j’avais
trouvé — j’ajouterai que je n’ai dans mon Google Reader aucun blog
orienté Qt ou KDE, donc tout ça c’est juste de planet Gnome ou planet
Ubuntu :-).
Un peu de background
Les débuts
Qt a été créé il y a plus de 15 ans par Trolltech, et est depuis très
longtemps sous une licence multiple : GPL et propriétaire (et très
chère, autour de 5000$ par développeur et par plateforme si j’ai bien
compris). Les développeurs avaient donc le choix entre payer très cher
pour utiliser Qt pour faire un logiciel propriétaire (comprendre « pas
sous GPL » — il était donc impossible pour un petit développeur de faire
un logiciel Qt propriétaire), ou faire un logiciel sous GPL. C’est
d’ailleurs le cas de l’environnement de bureau KDE et de tous ses
composants (sauf les librairies KDElib ne dépendant pas Qt, qui sont
sous LGPL).
Le rachat par Nokia
Nokia a fait l’acquisition de Trolltech il y a quelques mois. La firme
Finlandaise, bien que leader mondiale sur le marché des téléphones
mobiles, se retrouve bien embêtée par l’arrivée de Apple, avec son
iPhone et son AppStore performants (et peut-être aussi par celle de
Google avec Androïd, voire du possible renouveau de Palm). Nokia a des
téléphones, mais pas de plateforme logicielle vraiment intéressante,
ni d’écosystème de développeurs autour de ceux-ci. C’est pour cela
qu’elle a racheté complètement Symbian (qu’elle est en train de le
rendre open-source) et qu’elle a fait l’acquisition de Qt.
La véritable force de l’iPhone, c’est la myriade de développeurs qui
s’investissent dessus pour créer des applications. Nokia a donc besoin
de créer le même mouvement autour de sa propre plateforme. C’est pour ça
qu’il open-sourcent Symbian, une plateforme open-source attirant plus de
développeurs (à potentiel technique ou parts de marché égales). De même,
pour facilité le développement d’applications, ils ont acheté Qt, sont
en train de le porter sur Symbian, et y ajoutent une licence LGPL qui
permet à tous les développeurs de l’utiliser gratuitement.
Ce que signifie réellement ce rachat
Les développeurs auront désormais la possibilité de créer des
applications propriétaires en Qt sur Symbian, Androïd ou Palm (vu que ce
sont des Linux), ainsi que sur tous les grands systèmes d’exploitation,
car Qt est vraiment multi-plateforme. Cela diminuera leurs couts tout en
augmentant la portée de leurs applications, ils devraient être contents.
Nokia devrait voir sa plateforme adoptée, ce qui veut dire que ses
téléphones seront plus intéressants. Peu importe de ne pas faire de
bénéfices avec Symbian et Qt, de toute façon ils vendent des téléphones,
pas des logiciels. C’est soit ça, soit ils se laissent bouffer par
l’iphone sur le marché des smartphones grand publics.
Si tout fonctionne bien, Symbian, l’OS nouvellement libre, devrait
s’améliorer, donc le libre progressera. De même, Qt étant plus utilisé
(et Nokia ouvrant le code aux contributions extérieures), il ne devrait
que s’en améliorer. Une fois encore, le libre gagne.
Les bouleversements que cela crée
Jusqu’à présent, je parlais quasiment exclusivement de ce qui allait
changer dans le monde des téléphones mobiles, smartphones et autres
appareils portatifs, mais ce changement va avoir des conséquences sur
les ordinateurs de bureau.
Gnome
Gnome est le « concurrent » historique de KDE. Il n’est pas
basé sur Qt, mais sur GTK+. En effet, au tout début Qt n’était pas
libre, un environnement de bureau libre ne pouvait donc pas l’utiliser.
GTK+ a toujours été sous licence LGPL. Cela a permis de créer une sorte
d’écosystème impliquant des petites boites qui développaient des
applications en GTK+, et qui participaient au développement de celui-ci.
C’est d’ailleurs l’argument principal qu’avançaient les développeurs
Gnome ou GTK+ pour expliquer pourquoi ils ne voulaient pas développer en
Qt. La GPL était trop restrictive pour eux et pour les boites qui les employaient.
Le problème, c’est que malgré cette implication d’entreprises
commerciales censées apporter de l’argent, GTK+ n’a jamais été aussi
performant que Qt, et a toujours été plus difficile à utiliser que ce
dernier. Le modèle économique de Qt semble donc avoir été plus efficace.
Cela tuera-t-il Gnome et GTK+ ?
Il semble assez clair (je m’avance peut-être un peu) qu’il est désormais
plus intéressant pour une entreprise ou un développeur d’investir son
argent ou son temps dans le développement d’applications en Qt que de
faire la même chose en GTK+.
Je ne pense pas pour autant que ça va tuer GTK ou Gnome. Tout d’abord,
avec les réflexions qui ont lieu en ce moment pour la création de Gnome
3, il est possible qu’ils sortent des concepts très intéressants et des
fonctionnalités que KDE ne pourrait pas proposer, peu importe les
considérations techniques au niveau du framework utilisé. D’ailleurs,
c’est déjà vrai à l’heure actuelle et c’est ce qui me fait préférer
Gnome à KDE. Gnome est plus simple, plus utilisable que KDE. Il est plus
facile à prendre en main et à découvrir. KDE propose quelques
fonctionnalités assez fun, comme les widgets sur le bureau ou
l’intégration de base des effets 3D, mais il est vraiment trop complexe
à utiliser. Sa souplesse et sa profusion d’options en font peut-être un
très bon environnement pour certains, mais selon moi un débutant sous
Linux ne peut absolument pas utiliser KDE (c’est d’ailleurs pourquoi
Ubuntu a choisi Gnome et non KDE comme environnement par
défaut).
D’autre part je ne vois pas pourquoi, l’attention de certains
développeurs étant redirigée vers Qt et KDE, cela devrait absolument
détruire Gnome et GTK+. Les principaux développeurs de ces deux projets
ne vont pas les abandonner du jour au lendemain. Ils maitrisent leurs
technologies, et ont beaucoup investi dedans. Si Gnome devait en pâtir,
ça se ferait petit à petit sur le long terme. On a encore de nos jours
de nombreuses applications en tcl/tk ou wxWidget, je ne vois pas
pourquoi les applications en GTK+ devraient disparaitre d’ici à un ou
deux ans… De plus, le Libre fonctionne sur un système d’émulation, où
les développeurs utilisent les technologies qui leur conviennent, pas
celles qui conviendraient mieux à la majorité des utilisateurs (venant
de Windows qui plus est…) ni celles qui sont les plus jolies.
Selon moi, on n’aura donc au pire qu’un ralentissement progressif du
développement de Gnome et GTK+.
Qnome ?
Mark Shuttleworth, le créateur de Ubuntu, a affirmé il y a quelques mois
qu’il serait tout à fait possible de créer un environnement de bureau
basé sur Qt, mais respectant l’esprit de simplicité pour l’utilisateur
qui modèle le développement de Gnome. Il disait que c’était
techniquement possible, et que rien ne s’y opposait si ce n’était la
licence un peu restrictive de Qt.
À l’époque, je crois que c’était une simple affirmation sans volonté de
se lancer dedans, ni d’inciter d’autres personnes à s’y investir, mais à
partir de maintenant, avec la nouvelle licence de Qt, cela ne
m’étonnerait pas que des développeurs se lancent dans un « Qnome », ou
dans un « Knome ».
Il y a deux ou trois jours, j’étais d’ailleurs en train de me renseigner
sur le sujet (vraiment par hasard, je n’avais pas prévu l’annonce de
Nokia), car il y a plusieurs environnements de bureau basés sur GTK+
(Gnome, LXDE et Xfce, peut-être d’autres que je ne connais pas), mais un
seul basé sur Qt (KDE). J’ai bien cherché, mais je n’en ai pas trouvé
d’autres. Il y a bien eu un projet nommé KDE-light il y a quelques
années, mais il a visiblement été abandonné.
Si un « Qnome » était lancé, je pense que ça entrerait vraiment en
concurrence avec Gnome, bien plus que ne pourrait le faire KDE ou
l’apparition de logiciels propriétaires en Qt, quelle que soit sa
licence. Deux environnements basés sur des technologies différentes,
mais partageant les mêmes objectifs ne peuvent que se marcher sur les
pieds en terme de « parts de marché ».
Notes