C’est assez rare pour le mentionner, je viens de lire un article sur numérama avec lequel je ne suis pas d’accord. J’aime bien ce site parce qu’en général leurs journalistes m’informent des sujets qui m’intéressent en les traitant d’un point de vue similaire au mien. Il en est ici différemment, leur point de vue concernant le sujet abordé dans l’article ne me semble pas suffisamment réfléchi.
On traite ici de déclarations de NKM, justifiant des inégalités dans le traitement des données pour certaines applications, tout en respectant les principes de la neutralité du Net, puis avançant la possibilité pour les opérateurs de fournir des abonnements variables aux internautes, que ce soit en limitant le débit ou en facturant à la consommation réelle, le tout dans le but de limiter l’engorgement des réseaux.
Des compromis sur la neutralité du net
Pour ce qui est du traitement inégal des flux en fonction de leur type, on est totalement en contradiction avec la neutralité du net, même si c’est pour favoriser la “télé-chirurgie”. En soit ce n’est pas problématique, on peut comprendre que les applications qui mettent des vies humaines en jeu soient favorisée. Mais qu’est-ce qui sera considéré comme prioritaire, au final ? Si le gouvernement décide de rendre prioritaire la télé chirurgie, une fois le système en place rien ne l’empêchera de favoriser d’autres types de contenus, et là ça devient dangereux. On revient en fait à mettre en place un outil dangereux, qui n’est pas forcément indispensable (la télé chirurgie peut passer par des satellites, par exemple), et qui va ouvrir la voie à des dérives. Quoi qu’il en soit, bien que ce soit envisageable, le sujet reste sensible.
Du net pour riches et du net pour pauvres
Passons au deuxième sujet abordé, sur lequel je ne rejoins absolument pas le point de vue de Numérama : des abonnements internet à débit limité. On se croirait revenu dix ans en arrière, au début de l’adsl, lorsqu’il fallait payer plus cher pour avoir accès à plus de bande passante. Cela me semble ridicule, surtout quand on sait que ce n’est pas la bande passante qui coûte le plus cher de nos jours, mais la mise en place des infrastructures (dixit Benjamin Bayard de chez FDN). Au lieu de payer 30€ par mois pour un service de TV + TPH + internet 28M, les gens paieraient 20 ou 25€ pour du TPH + internet 512k. En effet, l’infrastructure qu’a payé le FAI permet de donner le maximum, donc le petit internaute qui ne consomme pas trop devra quand même l’amortir.
L’internaute faisant ce choix aura une expérience de seconde zone et ne sera pas autant attiré par les nouveaux usages du net (visoconférence, etc.). C’est une perte et un retard pour le développement de l’industrie des services sur internet. Malgré tout, c’est effectivement un abonnement que certaines personnes à très faible revenus choisiront. Au final, ça ne va pas pousser les FAI à optimiser leur infrastructure, uniquement à baisser les coûts liés à la consommation des abonnés, et ça va créer des internautes de seconde zone tout en n’étant pas si intéressant que ça financièrement. Il ne me semble pas judicieux de partir dans cette direction.
La facturation proportionnelle à la consommation
Troisième solution envisagée pour “désengorger le net” : faire payer les gens proportionnellement à leur consommation. On aurait donc un forfait fixe comprenant l’abonnement, l’amortissement de l’infrastructure, etc. et en plus une somme à payer en fonction de la consommation en quantité de données. À mes yeux c’est encore une mauvaise idée. Si on regarde ce qui est payé dans un abonnement, on y trouve 6 ou 7€ de dégroupage qui vont directement dans la poche de France Télécom, quelques euros (disons 5€) qui reviennent aux chaines de télévision diffusées, 3€ qui remboursent le modem et le boitier TV. Il reste moins de 15€ pour rembourser les investissements, payer les employés, investir à nouveau ou faire des bénéfices, et enfin, payer la bande passante. Si je ne me trompe pas dans mon calcul, cela ne laisse pas beaucoup de marge pour la bande passante, donc ce n’est pas ce qui coûte cher dans l’affaire. Si tout le monde doublait sa consommation, ça augmenterait le forfait de quelques euros tout au plus.
On rencontre d’ailleurs un autre problème : quelle type de bande passante coûte cher ? Est-ce que la vidéo de 100Mo que je regarde sur Youtube en provenance des USA coûte autant à mon FAI français que 100Mo de télévision via son boitier TV, ou que 100Mo de données échangées en p2p à mon voisin qui est chez le même FAI ? Tout cela n’a évidemment pas le même coût pour l’opérateur. Ce que j’échange avec mon voisin ne coûte rien à personne (les infrastructures locales suffisent), je ne devrais pas être facturé pour ça. La TV est mutualisée, optimisée, donc ça n’engorge que peu le réseau du FAI. Par contre, la vidéo Youtube pose problème, elle n’est pas en local, il faut des accords avec de nombreux intermédiaires pour la faire parvenir, ce n’est pas mutualisable, donc ça coûte cher.
En supposant que l’on paye à la consommation, si je télécharge comme un porc les films que partagent mes potes de lycée, qui habitent tous dans mon quartier, il n’est pas normal que je sois facturé autant que l’autre neuneu qui ne fait que consommer du Youtube, et du Hulu en HD provenant des USA. Si le concept de facturation à la consommation réelle est tentant, il ne me semble finalement pas applicable en raison de l’impossibilité d’estimer le coût d’un Mo transféré car trop de facteurs entrent en jeu.
Conclusions et solutions
Si j’ai bien saisi les enjeux et si je les ai bien expliqués, on peut voir que le désengorgement des réseaux ne passera pas par la création de nouvelles offres ou de nouveaux types de facturation. C’est ce que voudraient Orange et Bouygues (selon l’AFP) afin de faire de plus gros profits, mais ça n’est pas la solution adéquate.
La solution passe par une rationalisation de l’usage du réseau, en mettant à profit certains concepts comme la symétrie des connexions ou une répartition géographique intelligent des fournisseurs de contenus. Des nombreux travaux ont été menés afin de promouvoir de la diffusion de contenus par p2p, ce qui permet d’être moins dépendant des tuyaux saturés menant aux USA. Ce type d’usage couplé aux algorithmes d’optimisation géographique des échanges dans les réseaux p2p permettrait de minimiser les flux internationaux, inter-régionaux voire inter-quartier. Avec un tel système, plus de problème de saturation des réseaux, plus de dépendance à un fournisseur unique situé à l’étranger ou mutualisé chez son FAI, on prend juste les contenus chez nos voisins qui regardent les mêmes vidéos que nous. Le principal problème restant concerne l’asymétrie des lignes actuelles, mais il devrait se régler avec l’apparition des accès fibre.