Après la diffusion du reportage diffusé mardi soir à propos de la gendarmerie, je suis resté avec un arrière-goût amer. J’en ai d’ailleurs discuté avec plusieurs collègues, qui m’ont tous dit qu’ils en gardaient un sentiment mitigé.
Certes, on y a vu de beaux uniformes de gardes républicains, ainsi que des témoignages de gendarmes qui ont aidé les pompiers à compter les morts durant les inondations de cette année, et on a eu - immanquablement - droit à un reportage sur le GIGN, unité qui fait rêver beaucoup de monde, mais c’est à peu près tout.
La soirée entière était superficielle et destinée au divertissement du peuple. Les reportages étaient pour la plupart dénués de fond, comme par exemple celui montrant Corinne Touzet montant à cheval dans Paris, au côté de deux vrais gendarmes (et suivie d’une moto pour les protéger des voitures). De qui se moque-t-on, qui a décidé que cette émission contiendrait cette séquence digne de “30 millions d’amis” ?
De qui se moque-t-on, encore, lorsque seules trente secondes sont accordées à une séquence rendant hommage aux gendarmes morts en service, alors que quelques minutes plus tôt, la troupe de “Mozart l’opéra rock” a dansé et chanté pendant trois à quatre longues minutes ? Corine Touzet participait au moins à une séquence en rapport avec la gendarmerie, alors que la troupe en question semblait n’être là que pour son auto-promotion…
Bref, tout ça pour dire que je suis déçu. J’aurais aimé voir une émission parlant de “ma” gendarmerie. Certes, la gendarmerie est une, et tous les gendarmes ont une mission commune, mais quelque part je ne me reconnais pas personnellement dans le prestige de la cavalerie de la Garde Républicaine ou dans les actes héroïques du GIGN. Le travail des gendarmes de brigade n’est que rarement constitué de prestige et d’héroïsme, mais il n’en est pas forcément moins admirable ou difficile. Je ne dirai pas qu’il est facile d’être beau sur un cheval quand on passe ses journées à s’entraîner, mais ce sont les paillettes qui cachent la réalité. Le terrain, c’est des gendarmes pas toujours préparés à toutes les situations, manquant parfois d’entraînement ou de formation, à qui on demande d’être disponible, polyvalent et efficace, souvent avec des moyens limités.
C’est cela que je trouve beau en gendarmerie. C’est cette implication personnelle dans le métier, que l’on ne trouve que dans peu de professions. C’est le fait de devoir faire face à des situations imprévues, inédites, difficiles, parfois au milieu de la nuit avec un manque flagrant de sommeil. C’est le fait de se relever à 8h, après deux ou trois heures de sommeil, pour terminer cette garde à vue commencée à 4h du matin, parce que 24h c’est parfois court pour mener à bien tous les interrogatoires. Je suis conscient que mon statut de gendarme adjoint me protège encore partiellement de tout cela, mais je vois la charge de travail que supportent mes camarades officier de police judiciaire, et j’aspire à les rejoindre dès que possible.
Sans parler des horaires parfois exigeants, le métier en lui-même n’est pas enviable tous les jours. On ne côtoie quasiment que des gens ayant des problèmes, qu’elles soient victimes, auteurs, crapules, cas sociaux se faisant des crasses entre voisins depuis des mois, etc. On a vite tendance à généraliser et à croire que tout le monde est potentiellement un “client”, ou que les gens “normaux” n’existent pas. En entrant en gendarmerie, je suis passé d’un état d’insouciance à un monde qui ne me montre que ses côtés les moins agréables.
En parlant d’expérience désagréable, je peux vous assurer qu’il n’y a rien de jouissif à dresser un PV qui va coûter 90€ à une personne qui visiblement a des problèmes financiers, qui est au chômage et a des enfants à nourrir. Mais bien qu’humain et sensible à la misère qui touchent les autres, le gendarme doit parfois composer avec son désir de participer à l’élaboration d’un monde plus juste et plus sûr, et l’absence de règles ne le permet pas. C’est un dilemme qui m’anime à chaque fois que je colle une amende à quelqu’un. On aimerait ne verbaliser que les “gros riches qui roulent en 4x4 avec un cigare” qui n’ont pas de problème pour payer. Malheureusement, non seulement ça ne serait pas efficace, mais surtout ça ne serait pas réaliste, les conducteurs les plus dangereux étant plutôt les jeunes de 20 ans, qui aiment la vitesse, et ont une vieille voiture sans contrôle technique et munie de pneus lisses. Contrairement à ce que disent les gens de mauvaise foi sur le bord de la route, notre rôle n’est pas de remplir les caisses de l’Etat, mais de dissuader les gens de commettre des infractions.
C’est cette facette là de l’institution que l’émission aurait dû, à mes yeux, montrer au grand public. Tout simplement parce que c’est par là que devront passer la majorité des nouveaux gendarmes. C’est bien beau de s’engager pour être membre du GIGN ou enquêteur en Section de Recherche (à la CSI/NCIS) mais la brigade territoriale (ou l’escadron mobile) est le passage obligatoire pour presque tous les gendarmes sortant d’école. C’est moins glamour, ça ressemble moins à un film d’action hollywoodien, mais c’est tout aussi admirable et ça demande autant d’engagement et de compétences pour être bien réalisé.