Pour sauver le livre, tuons le domaine public

Quand on traine sur internet, qu’on lit des blogs, on s’attend à tomber sur des énormités. Logique, me direz-vous, il y a toujours un kevin ou deux pour ouvrir un Skyblog, pour se prendre en photo torse-nu devant la glace de sa salle de bain en carrelage moche (et en aveuglant l’appareil photo avec son propre flash, histoire de faire amateur), pour parler de ses potes délinquants et drogués et de sa future voiture à 70k « de kand jaurai plin d’argent et que je serai parlé fransai » (cliquez sur le lien si vous ne l’avez pas fait :D), et bien sûr pour tenter de refaire le monde du haut de ses dix-sept longues années d’expérience qui font de lui presque un adulte.

Mais non, cette fois-ci, ne me méfiant pas d’un blog à l’apparence sérieuse, à la réputation établie (en tout cas m’intéressant en général), je me suis fait lâchement surprendre par un passage hautement choquant :

S’improvisant avocat des libraires, Régis Jauffret s’inquiétait également des textes tombés dans le domaine public, disponibles gratuitement sur internet, et qui pourraient détourner les consommateurs des librairies de quartier. “Il ne faut pas que ces livres deviennent gratuits. On pourrait imaginer une prolongation du paiement du droit d’auteur et que ces revenus reviennent à une sorte de caisse centrale des écrivains”

Ainsi donc, pour sauver le livre, les libraires et les écrivains, on devrait remettre en cause l’idée même du domaine public. Un droit d’auteur se prolongeant soixante-dix ans après la mort d’un auteur, et faisant donc potentiellement vivre plus de quatre générations (en gros cent cinquante ans si l’auteur vit vieux), ce n’est pas assez.

Les États-Unis ont leur Mickey Mouse Protection Act, monsieur Jauffret voudrait-il qu’on crée des lois pour se protéger du perfide Zola et de l’immonde Hugo, qui ont l’outrecuidance d’avoir composé des chef d’œuvres et d’être morts il y a de cela des siècles ? C’est l’un ou l’autre, pas les deux, il faudrait songer à ne pas exagérer quand même, sales Pirates Académiciens… Ah, on trouve peut-être ici une parade à l’inexorable avancée des profiteurs amateurs de gratuité. On n’appelle pas les membres de l’Académie Française les « Immortels » pour rien. Soixante-dix ans après la mort, quand on est immortel, c’est dans très longtemps.

Le reste du billet, néanmoins, me semble plus sensé. Les écrivains sont conscients du risque que représente la technologie. Le sort que subissent actuellement les industries musicales et cinématographiques sera le leur dès que la technologie sera prête. Pour l’instant, le papier offre un support idéal au livre, mais avec l’apparition des ebooks, avec leur probable démocratisation dans les années à venir (sous la forme d’un Kindle, ou sous une autre), le livre connaitra le même piratage que ses cousins audiovisuels. La concurrence accrue des auteurs amateurs talentueux mais ayant un vrai travail les faisant vivre (Oh ! Non ! Ils n’oseraient pas, c’est inadmissible !) achèvera les rares survivants.

Les grands auteurs du XVIIème siècle étaient presque tous nobles et rentiers, ou bien étaient financés par un mécène, et c’est eux qu’on cite quand on parle de grande culture française. Messieurs, il ne reste plus qu’à gagner au loto, à épouser une riche héritière, ou bien à vous attirer les faveurs de l’une d’entre elle. Vous pouvez aussi vous trouver un vrai travail et vivre votre passion pour l’écriture comme certains vivent celle qu’ils ont pour les champignons et les bagues de cigares.

En attendant, je vous serais reconnaissant de nous laisser lire les grands classiques gratuitement.

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