Débats sur l’HADOPI à l’assemblée nationale et réflexions sur la licence globale

Je suis en train de regarder les vidéos des débats sur l’HADOPI à l’assemblée nationale. J’ai quelques commentaires à faire, donc je me lance.

Concernant l’assemblée nationale elle-même :

  • S’il y a 350 sièges environ, si les députés sont payés pour être présents aux débats, pourquoi n’y a-t-il que 50 à 100 personnes présentes dans l’hémicycle ? N’ont-il pas trouvé un meilleur système que celui en vigueur, qui permettrait aux députés de remplir leurs fonctions locales ainsi que leurs fonctions à Paris ? (Un truc qui pourrait être amusant serait de nécessiter les voix de 50% des députés pour faire passer une loi, et non 50% des députes présents. Ça obligerait les députés à venir… Bon, ok, je dis de la merde. Par contre, un député n’étant pas dans l’hémicycle et ne pouvant pas prouver qu’il n’y est pas parce qu’il assure ses fonctions de député en province au même moment, et donc qu’il ne fait pas autre chose qui n’a rien à voir — genre aller à la pêche ou coucher avec sa maitresse, ne devrait pas être payé pour ces heures là).
  • En fait, les débats à l’assemblée nationale, c’est un gros troll AFK qui dure des heures. La seule différence avec un troll sur internet, c’est que les deux parties n’écoutent pas les arguments qu’on leur oppose. Ils viennent à la tribune, font un discours de trente ou quarante-cinq minutes, puis vont s’assoir, boire un café, voire s’en vont, n’écoutant pas ce qu’a à dire le camps adverse…

Concernant le débat sur l’HADOPI :

  • Gros dialogue de sourd, la ministre et le rapporteur de la loi sont hermétiques à tous les arguments de l’opposition (c’est à peine s’ils les écoutent). Christine Albanel donne l’impression de ne donner d’importance qu’aux intérêts économiques des producteurs. On doute de son attachement à la rémunération des artistes, et on doute encore plus de l’importance qu’a pour elle l’intérêt public.
  • Les contre-vérités fusent. Exemple flagrant : le discours qui nous affirme qu’il est désolant que la jeunesse ne se rende pas compte que télécharger illégalement c’est du vol, que ça tue les petits créateurs, etc. (ce n’est pas du vol, c’est de la contrefaçon, et ça a plutôt tendance à aider les petits créateurs oubliés des majors et de leurs campagnes de pub).
  • Autre problème : l’argument qui voudrait que la coupure d’internet a été choisie au détriment d’une amende dans le but de mettre tout le monde à égalité devant la peine. Cela serait indispensable pour ne pas punir proportionnellement plus sévèrement les pauvres qui n’ont pas d’argent. Ridicule, je vais revenir là dessus un peu plus loin.
  • Christine Albanel n’a visiblement pas de conseiller technique dans son cabinet. Elle ne sait pas comment fonctionne un pare-feu, elle ne sait pas comment fonctionne internet, elle s’enfonce phrase après phrase en pensant qu’un « pare-feu, comme celui fourni par le pack Office, par le pack OpenOffice, ou même par tout système d’exploitation Linux, jouera le rôle nécessaire pour bloquer tout risque » (la phrase n’est pas exacte, je la ressors de mémoire). On apprend donc que Microsoft Office fournit un pare-feu, tout comme le fait OpenOffice. On apprend aussi qu’un pare-feu sur un ordi permet d’empêcher ses voisins de venir télécharger sur son propre wifi ouvert.

« Mais non madame, je suis innocent et blanc comme neige. J’avais mis un post-it sur mon écran avec marqué “interdiction de télécharger illégalement sur mon réseau”, je ne comprends pas comment mes voisins ont pu venir sur mon wifi ouvert et faire des trucs illégaux ».

Petit détail amusant :

Mme Brillart, de l’opposition, qui s’occupe d’avancer les arguments vis-à-vis de la faisabilité technique de la loi, et qui doit donc expliquer qu’on peut contrefaire des adresses IP, qu’on peut éviter le p2p et faire du f2f ou du direct-download, etc., s’offusque de voir que l’agence de communication qui a mis en place le site jaimelesartistes.fr est spécialisé dans les « campagnes virales et vidéos virales ». Sa réaction : « Bouh, les virus c’est mal, comment pouvez vous d’un côté demander aux gens de mettre des pare-feus et des antivirus sur les ordinateurs des internautes, et de l’autre payer une agence pour faire une campagne virale » … … … :D

Concernant le débat autour de la culture

Il n’y a aucun débat autour de la culture. Christine Albanel part du principe que le meilleur, si ce n’est le seul, système envisageable est celui qui est contrôlé par les maisons de disque à l’heure actuelle. Le fait que les maisons de disque seules décident de qui va gagner de l’argent et qui ne va pas en gagner ne l’émeut point. Les gens achètent la musique des gros artistes pour qui de la pub est faite sur TF1 et M6, c’est tout. Les petits artistes, même s’ils sont géniaux, ne vendent pas de CD, ne sont pas téléchargés, ne gagnent quasiment pas d’argent autrement qu’en faisant des concerts devant quelques amateurs avertis s’ils ont la chance d’être connus dans certains milieux. C’est ce système que Christine Albanel et son cabinet défendent. Les artistes riches sont riches, faisons en sorte qu’ils le soient encore plus en empêchant le téléchargement (à prouver, d’ailleurs, parce que moi j’ai pas plus d’argent à dépenser dans des CD qu’actuellement, sauf à arrêter d’aller au MacDo de temps en temps et à ne manger que des pâtes… À la limite, je peux arrêter de donner de l’argent à la croix rouge, ça me permettra de le donner aux majors à la place), et les artistes pauvres sont pauvres, c’est comme ça, on ne peut/va rien faire pour que ça change.

Dans les débats, les députés UMP réfutaient le fait que le droit à avoir internet serait un droit fondamental. Selon l’un d’entre eux, le droit à internet n’est en rien un « droit divin », et même sans internet il existe toujours le téléphone, les lettres, ou la voix pour communiquer. Ils oubliaient un peu vite que dans le rapport d’Eric Besson pour l’économie numérique ça fait partie des demandes (mais l’opposition le leur a rappelé, ce qui a étrangement fait taire les plus bornés). De plus, il existe un autre droit qui n’est pas divin : le droit d’auteur. Il a été créé il y a 200 ou 300 ans pour favoriser la création artistique en permettant aux créateurs de vivre de leurs œuvres (en opposition à « survivre dans la misère », voire à se faire spolier tout simplement), mais de nos jours, il est utilisé pour défendre un système qui fournit des millions et des millions d’euros aux plus gros artistes et industriels de la musique. Parmi les signataires de la pétition, les députés de l’UMP ne citent jamais que les artistes connus qui gagnent chacun au minimum plusieurs centaines de milliers d’euros par an, pas les artistes inconnus qui ne sont de toute façon pas téléchargés, mais qui défendent le système au cas où ils viendraient à atteindre la gloire…

Il ne faut pas oublier qu’on applique à la culture une économie de biens rares, alors même qu’on peut à coût marginal nul fournir du contenu à tout le monde, même aux pauvres qui ne peuvent ni acheter de CD à la FNAC, ni acheter de musique sur itunes. Quand Albanel refuse d’imposer une amende pour protéger les pauvres, elle oublie un peu vite qu’elle protège un système de distribution de la culture qui exclue les pauvres alors que techniquement et financièrement rien de concret ne s’oppose plus à ce que les pauvres aient accès gratuitement à ce qu’ils ne peuvent de toute façon pas payer.

On en revient à la licence globale. On est en train de se diriger vers des licences globales privées (Spotify, Deezer, etc.), où pour 10€ par mois on a accès à à peu près toute la musique (mais actuellement encore en fonction des accords entre majors et fournisseurs de service, donc pas vraiment tout. De plus, si la qualité et l’ergonomie de ces systèmes sont à peu près acceptables, il n’est pas possible d’emporter sa musique en voiture ou dans son baladeur mp3 pour aller faire un footing…). La licence globale est donc un système qui s’impose. Le hic, c’est que des licences « globales » privées ne permettent toujours pas aux pauvres d’accéder à la culture. 10€ par mois pour de la musique, quand on n’arrive même pas à manger en fin de mois, c’est toujours trop cher. Ajoutons à cela la place de cinéma à 9€ parce que le pauvre, il est agent d’entretien dans une boite qui n’a pas de CE pour avoir des places à 4€50, et donc il ne va pas non plus au cinéma.

On a vraiment besoin de se rendre compte rapidement que la licence globale est la seule solution équitable (c’est soit ça, soit on dé-régularise les échanges sur internet ne rendant tout gratuit légalement, enfin, de mon point de vue le monde marchand de biens numériques ne peut pas exister tant qu’internet existe). On doit s’en rendre compte avant que les licences privées soient trop répandues, avant que les majors ne se décident à y passer pour en garder le contrôle. Le chiffre d’affaire des ventes de CD en 2008 était de 600 ou 700 millions d’euros (contre plus d’un milliard il y a quelques années). À dix euros par mois, pour 18 millions de foyers connectés à internet, ça fait quand même un bon gros paquet d’argent (même si dans le tas on retire ceux qui en sont exemptés parce qu’ils sont trop pauvres). Plutôt que de servir les intérêts des gros riches des maisons de disque, servons ceux des français les moins aisés et apportons leur de la culture gratuitement puisque les évolutions technologiques le permettent désormais. Ce genre de taxe existe déjà avec la redevance télévisuelle, on n’inventerait rien de nouveau.

Avec tout l’argent récolté par cette licence globale, il y aurait moyen d’inclure l’industrie cinématographique dans le jeu. N’oublions pas qu’un tel système mettrait de côté tous les couts de fabrication des CD, des DVD, les couts d’exploitation des cinémas (oui, je n’aime pas les cinémas. Le son est trop fort, on n’a pas le droit d’y amener à manger et ce qu’on peut y acheter est très cher, on se tape de la pub de merde, et en belgique il y a une entracte de merde. Je souhaite voir les cinémas mourir, je préfère mon ordi, ma télé, voire mon home cinema avec son surround dans mon salon), donc l’argent récolté reviendrait directement dans les mains des créateurs. Donc les artistes seraient encore plus riches qu’aujourd’hui et la création n’en serait que favorisée.

Autre conséquence d’une licence globale : on peut y inclure les programmes télévisuels. Les émissions de télé pourraient être assujettis au même régime, et ça permettrait de donner des financements aux chaines qui créent de bons contenus (et hop, le problème du financement de France Télévision est réglé, je suis vraiment fort quand même :-).

D’un point de vue de la mise en place d’un tel système, je ne sais pas quel serait la meilleure solution. Une surveillance des plus gros réseaux p2p (torrent, edonkey, etc.) en permanence, mais avec un risque d’atteinte à la vie privée des gens ? Une surveillance régulière mais non continue, avec les mêmes problèmes de respect de la vie privée ? Des sondages réguliers pour savoir ce qui est téléchargé par les gens ? L’utilisation de trackers/serveurs centraux français, accessibles uniquement de France (et des autres pays adoptant un système similaire), pour simplifier tout ça ?

Il n’existe pas de système parfait. Il n’existe pas de système qui soit 100% juste. Il faut de toute façon faire des efforts, atteindre des consensus. L’état est là pour garantir les équilibres, pour trouver les proportions, pour répartir de manière juste ce à quoi ont droit chaque créateur. Le système actuel n’est pas du tout équilibré, il est injuste, attaqué de toute part, et pourtant il crée toujours des fortunes. Ce qu’il faut trouver, c’est le système qui soit le meilleur possible pour la société sur le long terme, et je pense personnellement qu’une sorte de licence globale est ce qui s’en rapproche le plus.

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