En ce moment j’ai du temps à perdre, et j’ai décidé de remettre un peu d’ordre dans mes affaires (comprenez « ranger mon ordi, faire mes sauvegardes, lire les pages que j’ai marqué comme “à lire” ». Je me suis donc mis à fouiller dans mes bookmarks read-it-later, dont les éléments s’accumulent depuis plus de neuf mois sans que j’y touche.
Je suis tombé sur un article traitant de la licence globale (je vous conseille vraiment la lecture de l’article wikipedia, j’y a appris un certain nombre de choses), et je me suis aperçu que ma conception d’une économie équitable dans le domaine des œuvres culturelles s’en approchait fortement.
J’ai été agréablement surpris de voir que le problèmes que je me posais dans ma tête est exactement celui qui est exprimé sur la page Wikipedia : « Le problème réside dans le fait que toute donnée numérique peut en principe être copiée à l’infini, sans l’utilisation d’une quelconque matière. La licence globale cherche donc à trouver un compromis entre cette réalité, et la nécessité de rémunérer les ayant droit ».
Ce que veulent les ayant droit
De ce côté-ci, c’est malheureusement assez clair. L’objectif des différents acteurs du marché est très clairement de gagner le maximum d’argent. Ils souhaitent considérer leurs produits non pas comme des œuvres culturelles, mais comme de simples produits commerciaux (d’ailleurs, dans beaucoup de cas on est d’accord avec eux, ce n’est pas de la culture ^^).
Tous les artistes n’ayant pas cette mentalité, mettons de côté cette volonté de gagner le maximum, et accordons leur le droit à vouloir gagner bien leur vie en exerçant leur métier.
Le modèle actuel, malgré tout ce qu’on voudrait nous faire croire, n’est absolument pas en leur défaveur. Il permet aux artistes d’être très bien rémunérés. Je ne crois pas que les revenus des principaux artistes aient sensiblement baissé. Ils vendent peut-être moins de CD, mais gagnent toujours autant grâce aux produits dérivés et aux concerts.
D’ailleurs, la plupart des artistes, du moment qu’ils ont du talent, sont capable de vivre sans vendre de CD, simplement en faisant des représentations en public (concerts, ou musique dans les bars, etc.). C’est peut-être une situation précaire pour certains, mais bon, personne ne les force à être artistes, ils ont le droit d’aller travailler chez macdo s’il le souhaitent.
Et puis, si on regarde les différentes statistiques, ce n’est pas la musique des petits artistes qui est piratée, c’est celle des gros qui sont super riche, donc il ne faut pas essayer de faire culpabiliser les internautes.
Ce que veut le peuple
Le peuple, c’est nous, c’est moi, c’est vous. Ce qu’on veut, c’est avoir accès à la plus grande quantité possible de culture pour le meilleur prix. Je ne crois pas connaître de personne qui annonce clairement qu’il souhaite avoir tout gratuitement, toujours, dans tous les cas.
Notre objectif, du moins le mien, et d’avoir accès à l’ensemble de la culture de manière équitable. Pouvoir écouter toute la musique que je veux, voir tous les films et les séries dont j’ai envie, sans me ruiner, mais en rémunérant tout de même les « artistes » (entre guillemets parce qu’il y a aussi d’autres acteurs à rémunérer, pas uniquement les artistes).
Pourquoi le système actuel n’est pas satisfaisant
Le système actuel est plus ou moins satisfaisant, mais il est bancal.
Du point de vue du consommateur, il faut prendre en compte plusieurs éléments. Tout d’abord, chaque individu a un budget maximal qu’il peut allouer à l’achat de contenu culturel. Certaines personnes (dont moi), essayent d’être équitables (avec plus ou moins de réussite, je vous l’accorde), et achètent un certain nombre de CD, de musique en ligne, de VOD. L’année dernière j’ai dépensé plus de 200€ en CD. Je ne sais pas si c’est beaucoup, mais ça pèse beaucoup sur mon budget, surtout si on ajoute les sorties au cinéma, et le surcoût, réparti sur mes produits alimentaires, engendré par la pub (qui a payé pour les films et les séries que j’ai vu à la télé).
Pour résumer, j’ai payé beaucoup d’argent, mais je n’ai accès légalement qu’à une quantité réduite de contenus. Je suis dans l’incapacité financière de payer plus, je dois donc pirater pour accéder au reste de la « culture ». Certaines personnes ne s’embarrassent pas de ces considérations d’équité ou de justice, et se disent que tant qu’à faire, s’il faut pirater autant le faire dès le début.
Je n’ai que peu de considération pour le point de vue des ayant droit, car je pense vraiment qu’ils gagnent énormément d’argent malgré les faiblesse du système. Ils s’en sortent très bien, ils ne sont pas à plaindre. Ce qui me gêne, c’est qu’ils essayent de nous imposer un système basé sur la rareté de l’offre, à un tarif élevé, au lieu de profiter de l’abondance de l’offre à un coût faible. Dans les deux cas ils peuvent gagner (très confortablement) leur vie, mais comme ils ont moins de contrôle sur le deuxième cas, ils s’en méfient.
Comme ils commencent à se rendre compte qu’il va leur être très difficile de faire appliquer la loi tant qu’ils joueront sur la rareté, et que ça risque de faire complètement vaciller leur système si tout le monde se met à télécharger illégalement, beaucoup d’acteurs du marché semblent prêts à étudier les questions de licence globale et d’abondance pour le consommateur. Profitons-en.
Qui est contre la licence globale ?
Certains acteurs y perdront : Neuf, iTunes, la FNAC, etc. Pour simplifier : tous les intermédiaires. La licence globale fera que les artistes et les maisons d’édition ou de production seront rémunérés, mais elle met de côté les intermédiaires. En effet, puisqu’il n’y aura plus besoin d’acheter de CD, la FNAC ne pourra plus en vendre. Puisqu’il n’y aura plus besoin d’acheter ses mp3 en ligne, iTunes ou Amazon n’en vendront plus. Il est donc logique de voir le patron de la FNAC s’exprimer sur le sujet uniquement pour le critiquer et tenter de faire croire qu’il n’est techniquement pas réalisable.
Le danger des licences « privées »
C’est ce qu’on voit arriver avec certaines offres commerciales. Comme il n’y a pas d’autres moyens légaux d’avoir accès à toute la musique possible de manière légale sans se ruiner, beaucoup de consommateurs sont tentés par des offres payantes, autour de 10 ou 15€/mois, pour avoir accès à tout un catalogue, mais malheureusement souvent uniquement au catalogue de certains majors, rarement à celui des petites maisons de production, et quasiment toujours en devant accepter des DRM.
Cette situation tend à favoriser la création de monopoles, voire de vente liée dans le cas où une offre est liée à la possession d’un matériel unique (musique sur itunes = achat d’un ipod pour pouvoir la lire, musique illimitée sur Neuf = souscription à une offre internet chez Neuf… — itunes vient d’annoncer qu’ils avaient réussi à se débarrasser des DRM, c’est une bonne chose, mais toutes les plateformes de musique illimitée en sont encore munies), et ce n’est absolument pas acceptable, car ce n’est pas dans l’intérêt des consommateurs, ni dans celui de la culture et des artistes indépendants, car cela donne trop de pouvoir à trop peu de distributeurs différents.
On peut comparer ça à ce qu’il se passe actuellement avec les offres UGC Illimité. Pour pas trop cher on a un abonnement illimité chez UGC, donc on peut aller voir toutes les séance à n’importe quel heure. Cela paraît idéal, mais il faut étudier le revers de la médaille : on est obligé d’aller à UGC, donc si on veut voir un film d’un cinéaste alternatif, c’est mort, si on veut uniquement de la VO, c’est mort, etc. À l’heure actuelle, si on veut aller beaucoup au cinéma sans se ruiner (mais en soutenant tout de même la production de films), on est obligé d’accepter les règles du plus gros acteur du marché (UGC), et on condamne les petits cinémas à fermer, avec eux les films d’auteur et les productions indépendantes (si on paye 20€ par mois pour l’UGC Illimité, c’est pas pour accepter de payer 8€ pour une place au petit cinéma du coin).
Le principe des licences privées pour la musique est le même que celui des abonnements UGC Illimité. Accepter l’idée d’une licence globale aurait un effet bénéfique dans ce domaine, en rétablissant un équilibre des forces dans la profession.
Un contrôle centralisé ?
Le gros problème avec la licence globale, que ses détracteurs n’hésitent pas à brandir sous prétexte de protéger les consommateurs, est que si c’est techniquement possible, cela se fait dans un respect approximatif de leur vie privée.
Il y a plusieurs possibilités techniques pour faire payer les gens. Soit une licence vraiment globale (tout le monde paye du moment qu’il a un accès à internet), soit une licence facultative illimitée (les abonnés souscrivent à une option de téléchargement illimité, qui les met à l’abris de toute poursuite judiciaire, soit, pour finir, une licence (facultative ?) au pro rata de l’utilisation.
Dans tous les cas, il doit y avoir une surveillance des réseaux, pour savoir ce qui est téléchargé (pour savoir qui doit être rémunéré, de manière proportionnelle), ou bien pour savoir qui télécharge quoi (dans le dernier cas principalement). Cela peut poser des problèmes de confidentialité des informations, mais est-ce vraiment un problème ? Y a-t-il des cas où ce qu’on écoute ou regarde pourrait être espionné par les services secrets ou une autre branche secrète à la solde du pouvoir ?
Quel prix ?
La question du prix est primordiale. En effet, avant de répartir l’argent récolté entre les différents acteurs, il faut savoir de quelle cagnotte on dispose.
Le modèle économique qui semble être communément accepté est que chaque abonné à internet paye une somme fixe, ce qui remplis une cagnotte, qui est ensuite répartie proportionnellement entre les artistes : beaucoup d’argent pour ceux qui ont été beaucoup téléchargés, et peu d’argent pour ceux qui ne l’ont pas été. Mais qui fixe le tarif ? On parle de 5 ou 7€ par mois et par abonné, mais que se passe-t-il si les grandes maisons de disque s’accordent pour exiger une meilleur rémunération ?
Je pense que le problème peut se régler de lui-même (surtout qu’un tarif de 5€/mois peut facilement créer une cagnotte de près d’un milliard d’euros par an au total, ce qui fait beaucoup d’argent). De plus, à l’heure actuelle, on voit déjà que les maisons de disque sont obligées de se plier aux conditions des radios concernant leur rémunération. Un accord entre les ayants droit, l’état, la SACEM et d’autres acteurs n’est donc pas une utopie.
Quelles œuvres ?
Un élément me fait toutefois peur. Les conditions étant dictées par un organisme central, que se passe-t-il si une maison de production, qu’elle soit grosse ou indépendante, n’en est pas satisfaite ? Assez clairement, si ce système est mis en place, il deviendra incontournable. Un internaute payant la licence globale aura très naturellement tendance à considérer que toutes les musiques, films et séries sont accessibles gratuitement. Il serait illusoire, surtout en connaissant la situation actuelle, de croire que l’internaute moyen, prenant l’habitude de télécharger à tout va gratuitement, fasse la part des chose entre les œuvres auxquelles il a droit et celles dont les auteurs ne participent pas au mouvement car ils n’en ont pas accepté les conditions.
Quand on sait que de nos jours il est déjà impossible de poursuivre les « pirates », imaginez ce que ce sera quand quasiment tous les français téléchargeront quotidiennement, et qu’en plus ils seront réellement de bonne foi. Tous les producteurs d’œuvres culturelles seront donc obligées de participer au mouvement, même si cela ne leur plaît pas.
Du moment que le pouvoir centralisé qui régule tout cela est réellement juste, qu’il agit en prenant en compte les intérêts des gros acteurs autant que ceux des petits, ainsi que l’intérêt commun de la société et de la culture (la vraie, pas celle que voudrait nous vendre NRJ), je pense qu’il n’y a pas de soucis à se faire. Par contre, en ces temps de Sarkozisme il faut être vigilant.
Enfin, un autre problème se pose. Quelle version d’une œuvre tombe sous le coup de la licence globale ? Est-ce que des screeners de films sont autorisés alors que le film vient de sortir au cinéma ? Est-ce qu’on peut diffuser des .wave ou des .flac de œuvres musicales, là où les maisons de productions voudraient qu’on se limite à du mp3 bas débit ? J’imagine qu’une réglementation stricte à ce sujet (sortie des films en DVD/Divx un ou deux mois après la sortie au cinéma, etc.) pourra régler tous les problèmes techniques, mais il faut y penser avant de faire n’importe quoi.
Sous quelle licence d’utilisation des œuvres ?
On pourrait croire que dans le cas d’une licence globale il n’y aurait plus vraiment de problèmes de licences, mais il y en a toujours. Qu’ont le droit de faire les internautes avec les fichiers qu’ils ont téléchargés ? J’imagine que les restrictions existant actuellement s’appliqueront, c’est à dire qu’ils n’auront pas le droit de la rediffuser à des personnes n’y ayant pas droit.
Que se passera-t-il si un internaute « extérieur » vient télécharger une œuvre ? Dans la situation actuelle, cela veut dire que vous avez diffusé (upload) un contenu illégalement, et c’est puni plus sévèrement par la loi que le simple download. Cela voudrait-il dire qu’il faudrait utiliser un réseau de partage séparé, auquel n’auraient accès que les gens payant la licence globale ? Le FAI serait alors responsable du contrôle de qui a accès à quoi, et ça mettrait de côté d’autres réseaux p2p ouverts (torrent, ou edonkey).
Enfin, que pourrait faire un internaute ayant payé la licence globale à une époque, mais ayant résilié son « abonnement » ? On peut se retrouver dans une situation de « all you can eat buffet », où certains internautes prendrait un abonnement pour seulement un temps limité, histoire de télécharger comme des porcs pendant ce temps, puis arrêteraient de payer par la suite. Auraient-ils le droit d’écouter la musique qu’ils ont téléchargé alors qu’ils ne payent plus ? Dans les faits, j’imagine qu’une souscription à l’année, un peu comme la redevance télé, réglerait ce problème.
Les alternatives à la licence globale
Il n’y a que peu d’alternatives viables à cette licence globale. Tous les modèles actuels d’exploitation des œuvres culturelles ont soit montré leurs limites (dans le cas de la distribution classique), soit montré qu’elles sont dangereuses pour le consommateur (avec l’utilisation de DRM ou la liaison forcée à d’autres services/produits).
Les autres alternatives, dont je n’ai pas encore parlé, concernent principalement la musique libre, avec des œuvres gratuites, rémunérées par dons ou par prix « au bon vouloir de l’acheteur ». Ce sont des modèles économiques qui ont leur limitations, mais qui ne sont pas inenvisageables. On fera remarquer qu’un des albums les plus vendus sur Amazon cette année (celui de Nine Inch Nails) était sous licence CC, donc à priori gratuit.
Un avantage tout de même pour la licence globale, c’est que des artistes libres pourraient très bien sortir leurs œuvres sous une licence libre, tout en entrant dans le système. Nous aurions donc des œuvres libres, que nous téléchargerions gratuitement en p2p, et les artistes seraient quand même payés par la cagnotte globale.
Conclusion
Comme vous pouvez le voir, je suis plutôt favorable à l’idée d’une licence globale. Je ne me souviens pas bien de ce que j’en pensais il y a quelques mois, mais voilà mon avis maintenant que je me suis un peu documenté. Je suis prêt à payer 5, 10 ou 15 euros, voire un peu plus, pour avoir le droit d’accéder à toutes les œuvres culturelles existantes, du moment qu’on nous donne des œuvres de qualité (les mp3 en 128kbps ou les Lord of the Ring en trois CD, ça fait pas très sérieux).
Aucune solution n’est parfaite, il y aura toujours des personnes non satisfaites. Il faut trouver un équilibre, et un système de licence globale s’en approche peut-être. Une licence globale aura l’avantage de forcer les producteurs de contenu à diffuser sur les réseau de partage des fichiers de bonne qualité, pour pousser les internautes à les télécharger (sans quoi ils ne seront pas rémunérés).
La culture se diffuse, les internautes ont accès à un buffet « gratuit » de contenu, les artistes et producteurs sont rémunérés (en plus des concerts, des places de cinéma ou des ventes à la télé), et tout le monde est content.